© Alain-Gabriel Verdevoye 13 Aout 2021
Le champion mondial des batteries, le chinois CATL va lever 9 milliards de dollars. De quoi parfaire la mainmise asiatique, notamment chinoise, sur le coeur technologique de la voiture électrique. En donnant l’absolue priorité aux voitures à batteries, l’Union européenne risque de sacrifier son industrie auto pour le plus grand profit de Pékin.
Le champion mondial des batteries annonce qu’il va lever 9 milliards de dollars ! Bonne nouvelle, diront les écologistes ! Le numéro un chinois investit pour accroître drastiquement ses capacités de production de batteries, afin de répondre au quasi-monopole technologique à venir que constitueront les voitures électriques. CATL a notamment des projets de nouvelles usines en Chine et… en Allemagne, où un site devrait démarrer fin 2022. Le consortium est ainsi pourvoyeur de batteries pour le groupe Volkswagen et l’américain Tesla. Il devance sur le marché mondial des batteries pour véhicules le coréen LG, selon le Financial Times, le japonais Panasonic, l’autre chinois BYD, le deuxième coréen Samsung SDI. Les experts de la banque chinoise d’investissement CICC estiment que la production de CATL grimpera de 200 gigawatt-heure en 2021 à plus de 600 à l’horizon 2025, s’assurant alors 30% de la production mondiale !
Les cinq premiers fabricants mondiaux de batteries asiatiques monopolisent plus des trois quarts de l’offre mondiale. Les rares usines existantes de batteries pour voitures en Europe sont d’ailleurs asiatiques. LG Chem et Samsung SDI sont ainsi déjà installés en Hongrie et en Pologne. Emmanuel Macron a par ailleurs annoncé en fanfare fin juin l’implantation d’une future usine de batteries sur le pôle nordiste de voitures électriques Renault d’ElectriCity. Le président de la République a même vanté deux milliards d’euros d’investissement pour créer 1.000 emplois sur place d’ici à 2025 et 2.500 d’ici à 2028. Cocorico? Pas vraiment de quoi! Car le fabricant de batteries est… le conglomérat énergétique chinois aux dents longues Envision, qui avait repris le pôle batteries de Nissan en août 2018. Début juillet, le même Envision signait d’ailleurs un deuxième accord, avec Nissan (allié de Renault) cette fois, pour une usine géante de batteries près de son site anglais de Sunderland. Envision va investir un demi-milliard pour équiper initialement 100.000 véhicules électriques par an.
L’Airbus européens des batteries pas vraiment sur les rails
Un coup dur pour ACC, la coentreprise tricolore de batteries formée de Total et Stellantis, dont le seul client annoncé à ce jour est l’ex-PSA (devenu Stellantis début janvier). ACC, qui compte produire des batteries pour l’automobile en France fin 2023 puis fin 2025 en Allemagne, est partie prenante du programme européen d’Airbus des batteries, lequel devait donner à l’Europe quelques outils pour contrer les asiatiques. Mais las! L’Europe deviendra-t-elle dans ces conditions une terre d’usines tournevis pour les asiatiques? Le risque est réel. En se lançant à corps perdu dans l’électrification sans avoir à disposition l’outil industriel et le savoir-faire pour les batteries, l’Union européenne court le risque crucial de perdre la maîtrise de son industrie automobile. Ce qui est précisément l’objectif stratégique du… Parti communiste chinois. Car les deux tiers des capacités mondiales des batteries se trouvent en Chine, constate Alix Partners. En effet, même les groupes japonais ou coréens produisent dans ce pays. Or, la batterie, c’est le nerf de la voiture électrique, représentant le tiers au bas mot de la valeur ajouté d’un véhicule!
Sous l’impulsion de son Parlement, la Commission européenne a carrément proposé le 14 juillet d’imposer l’interdiction à la vente des voitures non électriques en 2035. Le Bipe, qui modélise les futures hypothèses sur le nombre de véhicules électrifiés pour répondre à ces objectifs, estime qu’on pourrait aller « jusqu’à 50% de véhicules électriques et 20% d’hybrides rechargeables dès 2030 ». « L’Europe a fait le choix de la seule solution électrique, en tirant un trait sur cent ans d’innovation technique. On repart donc à zéro sur une technologie dans laquelle les Chinois ont dix ans d’avance », avertissait le mois dernier Luc Chatel, président de la Plateforme automobile française. « Il y va de la survie de notre industrie », insistait-il.
Le Parti communiste chinois a une stratégie de domination
La priorité donnée aux voitures électrifiées par la puissance chinoise tient-elle à une attention particulière de la part de Pékin aux aspects écologiques ? Voire
La Chine veut surtout stratégiquement se libérer de sa dépendance vis-à-vis du pétrole importé, alors qu’elle regorge de… charbon alimentant la grande majorité de ses centrales électriques – pas très écologique, ça ! Pékin, qui a échoué jusqu’ici à bâtir une grande industrie automobile, veut aussi prendre sa revanche en créant une filière complète de véhicules zéro émission, contrôlant d’ores et déjà en amont les matières premières, notamment en Afrique.
Si chaque batterie de smartphone contient de 2 à 3 grammes de lithium, une batterie de véhicule électrique en demande plus de 20 kilogrammes. Or, les sociétés chinoises contrôlent 30% de la production mondiale de lithium environ, grâce en particulier à leurs investissements dans les mines en Australie et en Amérique du sud, selon l’agence Bloomberg. BMW a d’ailleurs signé fin 2019 un contrat de 540 millions d’euros sur cinq ans avec le chinois Ganfeng pour son approvisionnement. Et ce, quelques mois après l’accord sur dix ans passés par Volkswagen. Les firmes chinoises contrôlent par ailleurs la moitié au moins de la production de cobalt de la République populaire du Congo, laquelle génère 70% de la production mondiale, toujours selon Bloomberg. La Chine dispose aussi de 80% des capacités mondiales de raffinage de ce minerai, indispensable aux batteries. Mais comment les dirigeants européens peuvent-ils foncer ainsi, tête baissée, dans un piège économico-stratégique aussi évident ?