
REVUE CONFLITS – De Laurent Amelot 7 juin 2020 Dans Asie, Asie du Sud-Est, BAC, Conflits armés, Géographie, Mer et Océans, Pacifique
L’Inde veut assurer sa prééminence dans « son » océan. Mais les rivalités de puissance sont nombreuses et Delhi ne peut pas affronter la Chine tout seul. Il lui faut impérativement trouver des alliés.
À l’approche de la fin du premier quart du xxie siècle, l’Indopacifique apparaît comme le nouveau cadre analytique des manœuvres complexes dans l’Asie maritime globale destinées à préserver l’ordre international libéral face à la montée en puissance de la Chine et sa quête de refondation du système mondial selon ses propres critères.

L’Inde participe à ce jeu d’acteurs et, dès le milieu des années 2000, a contribué à la conceptualisation de cette méga-région. En dépassant le concept d’Asie-Pacifique, Gurpreet Khurana, en particulier, présente l’Indopacifique comme le trait d’union entre les océans Indien et Pacifique et inscrit l’Asie dans sa globalité en mettant en évidence les continuités et les interdépendances économiques, infrastructurelles et militaires qui animent ce vaste ensemble. Surtout, il considère que l’Indopacifique traduit théoriquement la capacité de l’Indian Navy à encadrer les actions de son homologue chinois dans l’océan Indien tout en menant des opérations de contre-intrusion dans les mers de Chine et de contre-projection dans le Pacifique Sud. Plus globalement, l’Indopacifique prétend fusionner l’océan Pacifique et l’océan Indien afin d’en faire un théâtre unique, intégré, fort de plus de la moitié de la population mondiale et abritant les économies parmi les plus dynamiques de la planète.
Cependant, au sein de l’Indopacifique, l’océan Indien revêt une importance cruciale pour l’Inde, comme pour la Chine. En effet, si la première le considère comme son lac, la seconde le perçoit comme son océan central. Dès lors, l’expansion maritime chinoise dans cet océan représente un véritable défi pour l’Inde et les réponses que cette dernière doit y apporter, un enjeu majeur.
L’expansion maritime chinoise dans l’océan indien vue de Delhi
L’Inde questionne la légitimité des présences maritimes étrangères dans son océan éponyme, qu’elle considère comme des intrusions, en particulier celle de la Chine. Par ailleurs, elle identifie parfaitement les vulnérabilités qui contraignent l’empire du Milieu et qui lui imposent, sur le court terme, de chercher à protéger ses voies de communication maritimes (SLOCs), essentielles à l’importation de ses besoins en énergie et en alimentation, à l’exportation de ses produits vers ses marchés captifs ; d’étendre son commerce maritime et le maintien d’un accès ouvert pour de nouvelles opportunités économiques à l’international ; d’assurer la sécurité de ses opérations (constructions d’infrastructures et investissements notamment) et de ses ressortissants à l’étranger. Toutefois, à plus long terme, c’est la perspective d’une présence chinoise durable, voire permanente, dans l’océan Indien qui inquiète Delhi, dans la mesure où elle est de nature à fragiliser l’équilibre des rapports de force entre ces deux puissances asiatiques voisines et concurrentes aux échelles locale et globale. Dans l’océan Indien plus spécifiquement, c’est l’hypothèse d’un remodelage de l’ordre régional au détriment de Delhi qui constitue l’enjeu majeur.

Aussi, les responsables indiens étudient avec attention l’expansion maritime chinoise dans ce qu’ils considèrent comme leur zone d’influence sous le prisme de ses manœuvres dans les mers de Chine. Ils en tirent trois grandes conclusions :
- L’Association des nations du sud-est asiatique (Asean) et ses États membres, en ne faisant pas front uni contre la Chine, ont permis à Pékin de pratiquer le diviser pour régner et de s’assurer de la maîtrise d’îles stratégiquement localisées dans les mers de Chine afin de faire de cet espace maritime, stratégique pour le commerce mondial, un lac chinois, via une double politique des petits pas et du fait accompli.
- L’expansion maritime de la Chine dans l’océan Indien est corrélée à son agressivité croissante dans les mers de Chine ; la mer de Chine du Sud constituant la base avancée d’une projection chinoise programmée dans les mers lointaines.
- Pékin se dote d’un réseau de facilités navales reliant ses emprises militaires dans les mers de Chine à sa base navale djiboutienne, afin d’organiser un continuum maritime facilitant les opérations de sa marine dans l’océan Indien, dans le but de s’assurer de la maîtrise des espaces critiques de l’Asie maritime globale.
Ces analyses, qui s’inscrivent dans le droit-fil de la théorie, controversée, de la stratégie du « collier de perles », se doublent d’un sentiment d’encerclement avec la construction sur les flancs est et ouest de l’Inde des ports de Kyaukpyu et de Gwadar, adossés à deux couloirs économiques, le China-Myanmar Economic Corridor (CMEC) et le China-Pakistan Economic Corridor (CPEC), et la présence, sur son flanc sud, d’une véritable enclave chinoise à Hambantota, à Sri Lanka. À cela, s’ajoutent les tensions récurrentes sur leur frontière septentrionale, contestée par Pékin, et une lutte d’influence farouche dans les pays archipélagiques et riverains de l’océan Indien, et dans l’Himalaya.
Article réservé aux abonnés sur Revue Conflits
Laurent Amelot
Laurent Amelot est doctorant à l’université Reims Champagne-Ardenne (URCA), rattaché au laboratoire HABITER (EA 2076), chargé d’enseignement à l’Institut d’étude des relations internationales (ILERI) et membre du groupe de réflexion Asie21 (www.asie21.com).